Tout y est précis, fin, subtil pour “exposer” à nos regards la manière dont Lizzie (entre easy et lazy) se débat avec son caractère (elle s’occupe bien des autres) avec son chat (qui fait des siennes) avec son eau chaude en panne, avec sa voisine (son amie logeuse abusive et un peu puérile est sa “rivale” en art) avec sa précarité (elle travaille comme secrétaire dans l’école d’Art dirigée par sa mère) avec sa famille (son père potier ex hippie est pris pour un pigeon par des amis squatteurs, sa mère est un peu castratrice et son frère est un artiste torturé pour les uns et psychotique pour les autres) et bien sûr avec son désir ; elle doit préparer son expo, une des premières, et travaille sur une série de figurines (des idoles?) en céramique.

 

Le film suit calmement, comme d’habitude, avec une belle neutralité clinique, la lutte entre (ou avec) ce quotidien intrusif et sa poésie propre (elle fait ici penser à Sylvia Plath) en associant des couples de contraires qui sont autant de polarités qui définissent en Lizzie la figure synthétique d’une nouvelle et commune façon d’être artiste :

 

1) le couple père/fille (soit le couple artisan/artiste) père dont elle garde la faussement naïve simplicité artisanale ; rien dans le film sur ses ambitions et ses idées esthétiques ni sur ses affres intérieurs, elle se contente de “faire” ce qui lui vient d’une part demeurée dans son ombre…

 

2) le couple de voisines (propriétaire/locataire) qu’elle forme avec sa logeuse Jo qui est une artiste locale (Portland) de son âge, voire plus jeune, reconnue localement, ex-élève de l’école de sa mère, elle en est “la fierté”, formule qu’entend Lizzie assise à la place de secrétaire de cette école, mais Lizzie est promise à une dimension plus large puisqu’une artiste nationale et une galeriste de NYC vont s’intéresser à son travail. Jo en semblera impressionnée.

 

3) Le couple fille / mère (employeur/ employée) qui n’existe pratiquement que sous l’angle du rapport d’autorité au point que sa mère, très concernée par l’Art et qu’on suppose être une artiste ayant renoncé, apparaît comme aveugle au talent de sa fille et semble avoir surtout reporté son désir d’Art sur son fils Sean…

 

4) Le couple frère/soeur (artiste saturnien maudit / artiste personne normale commune) qu’elle forme avec Sean, son frère psychotique, qui à l’approche de l’expo de sa soeur creuse de grands trous dans son jardin en les considérant comme “les bouches de la terre” d’où cette dernière pourra se faire entendre, mais qui, s’y plongeant pour creuser, semble surtout creuser sa tombe, celle de l’artiste mégalomane ? A côté Lizzie semble montrer que l’art n’est pas une question d’ego mais une affaire de soin ; elle pétrit à la main la terre à laquelle elle donne une forme, elle caresse la terre avec le pinceau pour y poser l’émail, elle casse les bras de ses figurines pour les recoller, elle souffre de ce que l’une d’entre elles ait été brûlée à la cuisson… la création est une attention pratique à la matière et non une maîtrise mystique (Sean) ou égotique (Jo) de cette dernière …

 

5) Un cinquième couple est formé de l’artiste de dimension nationale, Marlene Hayman, qui est en résidence dans l’école d’Art et de Lizzie qui ne lui prête aucune attention particulière, peu sensible à la gloire ou à la reconnaissance, elle est alors concentrée sur son propre showing Up… (couple artiste reconnue/artiste débutante) Mais c’est cette figure tutélaire qui va la reconnaître et lui permettre d’avoir des perspectives plus lointaines à la fin du film…

 

6) Enfin, le couple de contraires le plus allégorique réside dans celui formé ironiquement par le chat de Lizzie et le pigeon recueilli par Jo (prédateur/proie), que le premier a failli croquer et dont il aurait brisé l’aile. Il sert de lien et presque d’intrigue principale au film. Jo demande à Lizzie de s’en occuper parce qu’elle a deux expos à préparer alors que Lizzie, moins demandée n’en a qu’une, et cette dernière pour toutes les raisons qu’on peut imaginer, accepte à contre-coeur de rogner son temps de travail artistique pour cela, mais semble donner autant d’attention au pigeon qu’elle pourrait en donner à un animal domestique, ce qui amuse son entourage… Son chat est éloigné de sa proie et ce que le scénario nous demande d’attendre, le drame, n’arrive pas… le prédateur est tenu à l’écart jusqu’à l’envol de l’oiseau… Ce qui est particulièrement bien vu, c’est que c’est le frère de Lizzie, Sean, l’artiste maudit en panne, qui libère l’oiseau (sa soeur) juste après que Jo soit venue avec le volatile dans la galerie où a lieu l’exposition de Lizzie, la reconnaissant ainsi comme, au moins, son égale, et juste après qu’une galeriste new-Yorkaise lui a montré son intérêt (sans plus mais on imagine…)

 

Le pigeon, qu’est un peu son père et qu’elle est un peu aussi pour Jo, sauf quand il s’agit de protéger son espace de travail personnel, finalement, échappe à son prédateur qui sera lui-même libéré de son enfermement, et l’on en vient à se demander si le pigeon était vraiment blessé à l’aile ou si cette hypothèse qui a entraîné une bonne partie du film n’était pas qu’un artefact utile à la mise en place d’une scène d’émancipation.

 

En tout cas circule dans ce film tendre, drôle, léger et fragile comme une des céramiques de Lizzie, l’idée que l’art s’écrit avec un petit “a”, que c’est un travail banal et intime, discret, un soin particulier accordé à une matière, qui s’intègre plus ou moins bien au quotidien, surtout avant le Showing Up, qui est d’autant plus beau qu’il est social (ce travail) puisqu’il demande la présence ou la participation des autres… non pas une source de pouvoir de l’individu glorifié dans sa fonction créatrice et spectaculaire mais une forme pratique d’émancipation au quotidien… Un retour heureux et serein de Kelly Reichardt après le succès et la reconnaissance internationale, un peu tardive dans sa carrière de cinéaste humble et exigeante, indépendante.